La place du corps

Jouer d’un instrument de musique et du hautbois en particulier met en jeu le corps. De la tête aux pieds, ni plus ni moins. Même si la position au sein de l’orchestre est très souvent assise, travailler debout à plusieurs avantages sur lesquels nous reviendront. Mais il est aussi possible de travailler assis…

D’une manière générale la pratique sportive est tout à fait comparable : le corps a besoin de vivre régulièrement l’effort pour s’habituer à celui-ci et développer les muscles qui lui permettront d’assumer des charges plus intenses. Plus vous jouer, mieux vous jouer. C’est l’unique secret que je connaisse concernant la pratique instrumentale. Et comme mieux jouer ? En jouant.

Oui, mais jouer comme un bourrin tout le temps sans réfléchir apporte certes des résultats mais gagnerait en efficacité en suivant les quelques règles qui suivent et qui sont contraignantes. C’est d’ailleurs parce qu’elles le sont qu’elles suscitent de la part de votre corps une adaptation, un apprentissage.

La posture

Jouez debout de préférence avec les genoux « déverrouillés » c’est à dire pas tendus comme un i. Vous devez être souple, vous allez par la suite danser (sisi, c’est vrai!!), imaginez vous plutôt tonique et décontracte, comme pour aborder une piste de danse un samedi soir. Appréciez le mouvement de votre bassin, il doit être mobile, même si, avec la respiration il sera bien sollicité.

Les pieds et le rythme

Le plus important dans la musique, ce ne sont pas les notes. Oui, je fais une hiérarchie et je l’assume. Elle est contraire au bon sens commun. Nous avons tou.te.s cette tendance à savoir quelle note il faut jouer. Ce n’est pas le plus gros problème quand on joue avec d’autres (bien sûr, je me place dans le cas où vous êtes vous aussi convaincu que la musique se partage et s’apprécie avant tout en collectivité). Non, le plus gros problème c’est de jouer en même temps que les autres. Démonstration : vous n’êtes pas très sûr.e.s de vos notes, mais vous prenez le temps de bien toutes les jouer, pi quand vous vous trompez, vous reprenez ce que vous avez loupé parce que vous avez envie de montrer que vous êtes cap’ de jouer les notes qui sont écrites (souvent cette priorité va de paire avec l’entrée en musique par la lecture). Oui, mais les autres ont fini qu’ils vous en restait encore… et bien souvent vous prenez conscience que les autres ont déjà fini après un petit moment de solo, avec les regards qui se tournent vers vous. Vous intéresser d’abord aux notes vous mènera à ce genre de moment de solitude.

Imaginons le cas opposé : vous ne savez absolument pas quelle note jouer, mais par contre vous avez parfaitement compris quand il fallait jouer. Vous avez axé votre esprit sur la compréhension du rythme et vous avez bien fait. Personne ne se rendra compte (dans un premier temps) de l’esbrouffe. Vous pouvez utiliser cette technique en concert, le résultat est garanti (bon, pas à l’enregistrement, c’est vrai) mais vous serez félicité comme les autres.

Oui c’est injuste, pourquoi celui qui s’est échiné à jouer toutes les notes, en faisant attention, est-il raillé quand il fini de jouer ? Et celui qui joue n’importe quoi passe inaperçu au milieu d’une foule ? Eh bien parce que la musique c’est d’abord du rythme. La musique c’est « l’organisation de sons dans le temps ». Peu importent les sons, ce qui compte c’est l’espace, le moment où ils arrivent. Ne travaillez pas trop votre triple piano si c’est pour jouer en même temps qu’un marteau-piqueur…

Et le rythme c’est quoi ? c’est votre coeur qui bat, c’est vos pieds qui avancent dans une marche, vos bras qui se balancent. Le rythme est là, partout, chez tout le monde. Ce qui est difficile pour le cerveau c’est de coordonner tous les mouvements. Et en musique il va falloir en faire des mouvements différents et coordonnés. Il y en viendra même des quatre coins du corps. Pour cela, un traitement de choc : la conscience de la pulsation.

Quoi ? Encore un autre mot ? Pour dire la même chose ? Non. La pulsation c’est ce qui symbolise la vitesse de votre musique, c’est le temps qui passe, ce sont les bornes le long de la route, les nœuds pour mesurer la vitesse du bateau. Cela n’a rien à voir avec le paysage, les aspérités du sol, la couleur de la route… La pulsation passe inexorablement. Elle est présente là, pendant que je vous parle, elle perdurera après que nous aurons jouer ensemble. Toutes les vitesses coexistent ensemble, il suffit d’en attraper une comme ça, celle qui vous vient. Accrochez-la à vos pieds. Toujours. Vos DEUX pieds. En appui sur vos talons, soulevez la pointe de vos pieds. Grâce à ce mouvement votre pulsation est stable (vos deux pieds entraînent un mouvement de pendule au reste de votre corps), la tendance à la variation sera détectée par d’autres organes, votre bassin sera équilibré, souple dans le mouvement. Voyez ce que produit le battement d’un pied : un déséquilibre. C’est à proscrire. Vous travaillerez donc systématiquement avec ces deux pieds pour tout problème de compréhension rythmique.

Vous prendrez goût à ce balancement, il vous rassurera dans les moments difficiles, vous n’y réfléchirez même plus… mais… il donnera le mal de mer à tous ceux qui vous regarderons. Donc il faudra savoir le rendre discret aux yeux du public, intérieur. Toujours présent.

Questions de dissociation

Ça y est ? Vous êtes bien dans votre balancement ? Souple, agile, stable, confortable. Parfait.

Vous portez l’instrument à la bouche, expire – inspire, boum, c’est parti. Une noire, une autre noire, une blanche, passe encore, deux-croches, tout s’écroule. Voilà, c’est parti pour la séance de torture…

Si vous n’êtes pas en mesure de jouer des choses simples en battant des DEUX pieds (j’insiste encore), c’est normal ! Ce n’est pas inné, c’est donc que cela s’acquière !! Oui mais comment ? Telle est la question.

L’énorme avantage, c’est que la réponse est hyper simple, là comme ça sur le papier : « Si vous n’arrivez pas à le faire c’est que c’est trop rapide pour votre cerveau !! » La tâche que vous lui demandez de réaliser demande la résolution d’une opération complexe (une opération qui ne peut se décomposer en opérations simples). Donc il va falloir biaiser. Lui laisser le temps de comprendre que quand il pose son pied droit là, l’index de la main droite doit se baisser en même temps que le majeur de la main gauche se lève, le diaphragme est tendu, les lèvres se détendent légèrement sur le do qui est trop haut, se raffermissent sur le la qui est trop bas, la langue heurte l’anche juste là quand on passe sur cette note, et je ne parle que d’un enchaînement do la… Vous imaginez la puissance de calcul nécessaire ? Alors forcément si vous êtes conductrices d’engins, c’est le genre de truc auquel vous êtes habituée. Donc vous allez passer quelques instants à buter, vous allez ralentir la cadence (vous savez que c’est comme ça que le cerveau peut acquérir un nouveau mouvement) et hop, ça passe. Mais pour le commun des mortels (que je suis), bin c’est pas si facile.

Votre pire ennemie ? Votre impatience. Moins vous acceptez d’avoir besoin de temps pour comprendre, plus vous vous enfermez dans vos blocages. Celles et ceux qui y arrivent sont les plus patien.te.s, les plus coriaces. Voilà le deuxième secret : ralentir pour recommencer et ralentir jusqu’à ce qu’on y arrive. Accélérer le plus lentement possible, aller au bout de sa patience.


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